L'aventure polaire des dirigeables N1 NORGE, et N4 ITALIA

  • Prélude

    Roald Amundsen, explorateur norvégien, est surtout connu pour avoir été le premier homme à atteindre le pole sud le 14 décembre 1911, et à en être revenu vivant. Outre sa passion pour les contrées polaires, il s’est également intéressé très tot à l’aéronautique, qui lui semblait l’instrument d’avenir pour l’exploration de ces endroits hostiles. Il fut d’ailleurs un des premiers pilote brevetés en Norvège, en 1918.

    Dès 1923, il projette au dessus du pole nord. C’est sa rencontre avec le milliardaire américain Lincoln Ellsworth qui lui permettra de financer ce projet, à la condition que ce dernier participe à l’expédition. Amundsen acheta deux hydravions Dornier J Wal, immatriculé N24 et N25. En mai 1925, ils décollent depuis le Spitsberg en direction du pole nord. Mais les mauvaises conditions climatiques, et des problèmes de givrage les obligent à se poser en catastrophe sur la banquise à 87°44 nord. Les deux équipages ont du travailler 3 semaines, avec des outils inadaptés, pour construire une bande de décollage suffisante sur la glace. Finalement, le N25 parvint à décoller de justesse avec les 6 membres d’équipages et à rejoindre le Spitsberg.


    L’aventure du NORGE

    Suite à ce vol, Amundsen et Ellsworth se rapprochent de l’italien Umberto Nobile, qui vient de faire achever le dirigeable semi-rigide N1. Il est baptisé NORGE (Norvège), et les 3 hommes planifient un nouveau raid afin de survoler le pole nord. Une première équipe est envoyée à Ny-Alesund, au Spitsberg, afin de construire l’infrastructure nécessaire, un mat d’amarrage et un abris pour protéger le dirigeable du vent.

    Le dirigeable N 1 NORGE quitte Rome le 29 mars, en direction d’Oslo, qu’il atteint le 14 avril. Puis il repart vers Ny-Alesund, via Leningrad et Vadso. Après une remise en état, et l’embarquement de l’équipement nécessaire, le NORGE quitte Ny-Alesund le 11 mai 1926.
    L’équipage est composé de 16 hommes : Roald Amundsen, Lincoln Ellsworth, Umberto Nobile, Oscar Wisting (barre de cap), Emile Horgen (barre de profondeur), Hjalmar Riisen-Larsen (navigateur), Birger Gottwald (radio), Finn Malmgren (météorologue), Fritjof Storm-Johnsen (radio), Frantisek Behouneck (scientifique), Oscar Omdal (ingénieur), Frederik Ramm (journaliste), ainsi que les mécaniciens Cecioni, Arduino, Caratti et Pomella.

    Ils atteignent le pole nord le 12 mai à 1h25 GMT, et jettent 3 drapeaux, norvégien, américain, et italien, pour marquer l’évènement. Vu les vents dominants, plutot que de revenir à leur point de départ, ils continuent vers l’Alaska, et se posent en catastrophe à Teller. Le dirigeable est fortement endommagé, mais tous les membres de l’expédition sont saint et saufs. Par ce vol, Roald Amundsen fut le premier homme à avoir conquis les 2 poles.

    Cependant, des fortes tensions sont apparues au sein du groupe, Umberto Nobile se sentant lésé, toute la gloire de l’exploit rejaillissant sur Amundsen. Les deux hommes se séparèrent fachés, et Umberto Nobile décida rapidement de construire un nouveau dirigeable pour refaire une campagne de vols polaires.


    La catastrophe de l’ITALIA

    Ce nouveau dirigeable, construit avec l’appui financier d’industriels milanais et l’appui politique du Roi d’Italie et de Mussolini fut nommé N4 ITALIA (nous n’avons que peu d’information sur le N2, et le N3 fut vendu à la Marine impériale japonaise, comme « Naval Airship N°6 »). Nobile avait projeté un engin beaucoup plus important, mais les limitations, financières et de délai de construction, firent que le N4 conservera quasiment les dimensions du N1.

    Nobile avait prévu 5 vols polaires, toujours au départ de Ny-Alesund, seul endroit à disposer d’une infrastructure (abris et pylone d’amarrage). L’équipage reprenait certains membres de l’expédition du N1 NORGE : Umberto Nobile, comme chef d’expédition, Finn Malmgren, (météorologiste), Frantisek Behouneck (scientifique), Aldo Pontremoli (physicien), Adalberto Mariano (navigateur, et commandant de bord), Filippo Zappi (navigateur), Alfredo Viglieri (navigateur et hydrographe), Natale Cecioni (ingénieur de bord), Guisepe Biaggi (radio), Felice Trojani (barreur de profondeur), Ugo Lago (journaliste), et les mécaniciens Arduino, Alessandrini, Caratti, Ciocca, et Pomelia. L’équipe comprenait également le navire « Città di Milano », chargé de matériel, et embarquant les membres de manutention au sol. Il devait également assurer la veille radio avec le dirigeable.

    Le premier vol eu lieu 11 mai 1928, mais du être écourté au bout de 8 heures, suite à des problèmes de givrage et de blocage de commandes. Il faut souligner que les dirigeables sont extrèmement sensibles au givre, du fait de l’importante surface de leur enveloppe. Même une fine couche de givre peut représenter une masse importante et complètement annuler la force ascensionnelle de l’hydrogène. Le deuxième vol eu lieu le 15 mai, et permis de récolter d’importantes informations de navigation dans ces contrées encore inconnues, et très proche du pole nord magnétique.

    Le troisième vol parti le 23 mai 1928, et survola le pole nord géographique le lendemain à 0h24 GMT, profitant de forts vents arrière. Il avait été prévu rester un moment au pole, et de descendre par treuil des scientifiques, afin de mener des expériences. Mais du fait de conditions météorologiques se dégradant rapidement, ce projet fut abandonner et le N4 ITALIA prit le chemin du retour à 2h20 GMT. La météo empira, avec des vents violent et une épaisse couche de nuage, empêchant toute localisation précise. Le premier incident grave fut un blocage des commandes par le givre vers 9h. Afin de se libérer du givre, et de faire un point précis, le dirigeable monta à près de 1000 m, pour sortir de la couche de nuage. Puis les moteurs furent remis en route, et les soupapes ouvertes, afin de le faire redescendre jusque vers 300m. Mais le givre s’accentua, en bloquant le dirigeable dans une position queue basse, et avec un taux de chute de plus de 0,5 m/s. Malgré le jet du lest, des gouvernes en montée maximum, et les moteurs à plein régimes, la chute ne peu être enrayée, et la nacelle heurta violemment la glace, tuant le mécanicien Vincenzo Pomella.
    Sous la brutalité du choc, la nacelle se brisa, jetant 9 autres membres au sol. Parmi les 6 personnes restés dans l’enveloppe, le mécanicien chef Ettore Arduino eut la présence d’esprit de jeter aux membres au sol le plus d’équipements possibles, des vivres et la fameuse tente. (il convient de noter que, contrairement au film « la tente rouge », elle n’était pas rouge, mais blanche, elle fut teinte en rouge par après). L’enveloppe du dirigeable, allégée, mais désormais sans commande, s’éleva de nouveau et disparu. Elle ne fut jamais retrouvée, ni les 6 membres d’équipages restés à bord.

    Les 9 rescapés, certains blessés avec des fractures (Nobile, Ceccioni, Malmgren) s’organisèrent tant bien que mal. Ils réussirent à réparer la radio, endommagée dans la chute, et a envoyé des SOS.
    Cependant, l’équipage du « Città di Milano » n’a pas assuré la veille radio prévu, et les messages de détresses restèrent sans réponse. Ce qui incita Malmgren, Mariano et Zappi a partir à pieds cherché des secours le 31 mai.
    Il fallu attendre le 6 juin pour qu’un radio amateur russe reçoivent les premiers signaux de détresse et alerte les autorités. Le 8 Juin, le « Città di Milano » réussi enfin à contacter les rescapés.

    Une gigantesque opération de sauvetage fut alors montée, avec la participation de nombreux pays, au premier rang desquels l’Union Soviétique, qui, outre des avions, dépêchât deux brises glaces. Le gouvernement français offrit à Amundsen un hydravion Latham 47, avec son équipage, pour participer aux recherches. Malheureusement, il devait se perdre en mer le 18 juin, en reliant le Spitzberg.
    Ce n’est que le 20 juin que les survivants furent aperçus par le pilote italien Maddalena, à bord du Savoia S 55 I-SAAT, et qu’il put leur larguer quelques vivres. Mais il lui fut impossible d’atterrir, la glace étant impraticable. Le 23 juin, le pilote suédois Lundborg, aux commandes d'un hydravion Heinkel HE 5, put enfin se poser, et après de nombreuse tractations, embarqua Nobile pour le ramener. Il faut signaler que celui ci ne voulait pas partir et que ses hommes le forcèrent à partir. Ce fait lui sera lourdement reproché plus tard, certains l’accusant même d’avoir abandonné son équipage. Or les faits démentent cette interprétation, et ce n’est que forcé (et grièvement blessé) que Nobile a accepté d’embarquer, avec la promesse que son équipage serait prochainement évacué lui aussi.

    Dès le lendemain, Lundborg revenait effectivement. Mais il accidenta son avion en se posant, devenant lui aussi prisonnier des glaces. Comme il n’y avait pas d’autres appareils basés au Spitsberg avec de bonnes performances de décollage et d’atterrissage court, il fallut attendre que de nouveaux avions arrivent depuis le continent, ce qui entraîna la suspension des opérations de sauvetage.
    Ce n’est que le 12 juillet, soit plus d’un mois et demi après le crash, que le brise-glace soviétique « Krassin » arrive à proximité des survivants et pu les secourir.
    Furent également secouru Mariano et Zappi, qui étaient partis à pieds chercher du secours. En plus d’un mois, il avaient parcourus moins de 300 km. Malmgren, quand à lui, était mort d’épuisement.

    Cette catastrophe eut un énorme retentissement tant en Italie qu’en dehors. Nobile fut accusé de désertion, mais complètement blanchi par les membres de son équipe. Outre le mort du crash, les 6 disparus restés dans l’enveloppe du dirigeable, et Malmgren, périrent également Amundsen, et les 4 membres d’équipage du Latham 47.

    Les causes du crash ne furent jamais réellement éclaircies. Il semblerait que, suite à la montée à 1000 m du dirigeable, il fut relaché trop d’hydrogène pour redescendre, ce qui combiné avec une température plus froide vers le sol, et une pression plus importante, fit que l’ITALIA n’eut plus assez de réserves pour maintenir son vol. A cela s’ajoutèrent surement des problèmes de givres.
    D’autres causes sont à chercher du coté du manque d’expérience de Nobile dans les expéditions polaires, qui nécessitent une planification rigoureuse, et l’attitude, pour le moins nonchalante du commandant du « Città di Milano », qui n’assura pas la veille radio prévue.
    Mais il convient de saluer l’effort international pour rechercher les survivants, prouvant que la solidarité polaire n’est pas un vain mot. Amundsen, pourtant fortement brouillé avec Nobile fut le premier à partir à sa recherche, et y laissa la vie.

    Tout ce qui reste de cet épopée polaire et des souffrances endurées est ce mat métallique, dressé au milieu de nul part.



    Dirigeable N1 NORGE

    Dirigeable semi-rigide, gonflé à l’hydrogène.
    Un dirigeable semi-rigide comprend une quille et des structures avant et arrières, le plus souvent en treillis d’alliage d’aluminium, qui donnent la forme générale du dirigeable et lui assure une certaine rigidité. Par contre, l’enveloppe reste souple, et contient les ballonnets d’hydrogène. Ce mode de construction doit théoriquement associer la rigidité nécessaire pour diriger facilement l’engin, tout en limitant le poids mort d’une structure métallique complète.
    Le N1 NORGE fut le premier dirigeable italien a être doté d’un empennage cruciforme, simplifiant le pilotage. Mais comme tous les plus léger que l’air il était d’un pilotage complexe, puisqu’il fallait constamment adapter le lest et la quantité d’hydrogène dans les ballonnets aux conditions atmosphériques (densité et température de l’air ambiant notamment) afin de maintenir une flottabilité la plus neutre possible, et les commandes de vols nécessitaient la présence de deux barreurs, un en cap et un en profondeur, devant travailler en étroite coopération avec les mécaniciens responsables des moteurs.

    longueur : 106 m
    largeur : 26 m
    volume d’hydrogène : 19 000 m3
    charge utile : 9500 kg

    motorisation par 3 moteurs à essence Maybach de 260 ch chacun (190kw), entrainant des hélices à pas fixe en bois. Caque moteur était installé dans une nacelle extérieure (afin de limité les risque de contact avec l’hydrogène), et accessible en vol.

    vitesse maximale de 115 km/h

    Dirigeable N4 ITALIA

    Dirigeable semi-rigide, gonflé à l’hydrogène.

    longueur : 105,40 m
    diamètre de l’enveloppe : 19,40 m
    volume d’hydrogène : 18 500 m3
    charge utile : 9400 kg

    motorisation par 3 moteurs à essence Maybach Mb IV, de 6 cylindres en ligne, refroidit par eau, de 250 ch chacun, entrainant des hélices en bois, à pas fixe, et installé dans des nacelles extérieures.

    vitesse maximale de 110 km/h

    Liens :

    - https://en.wikipedia.org/wiki/Airship_Italia, détaille notamment les 26 avions ayant pris part aux recherches
    - https://en.wikipedia.org/wiki/Norge_%28airship%29
    - https://en.wikipedia.org/wiki/Semi-rigid_airship, expliquant les différents type de structures de ballons dirigeables
    - http://www.south-pole.com/aspp015.htm
      Lien   Revenir ici   Citer
  • Le genre d'histoire qui fait rêver… avant que la fin ne nous ramène à la brutale réalité.

    Merci, je ne connaissais pas!
    "En temps de paix, le kamikaze n'a plus de raison de sauter sur quoi que ce soit d'inflammable. Il s'étiole. Le suicide était le seul but de son existence : maintenant qu'il n'a plus de raison de mourir, il n'a plus de raison de vivre.Heureusement, il est possible d'aider le kamikaze à en finir en déclenchant en lui cette irrépressible envie d'exploser sur l'ennemi qui lui valut naguère son immense prestige auprès des gonzesses. Comment? C'est simple : il suffit d'imiter le cri du porte-avions. Regardez bien. Pout, pout, pout, ….Kamikaze : Banzaï !Etonnant, non?"Desproges
      Lien   Revenir ici   Citer
  • Merci pour ce récit, glaçant il faut bien le dire ! :hehe:
    ¤ Nicolas Sur AMN : Nico2, inscrit le 09 Jan 2006, 16:45>> N'oubliez pas de lire et de relire le Règlement du forum.>> N'oubliez pas de consulter les index des sujets avant de poster les vôtres.
      Lien   Revenir ici   Citer
  • J'avais gardé ce récit pour le lire lorsque j'aurai un peu de temps… J'avais vaguement entendu parlé de cette aventure (sans voir le film, j'avoue que je ne savais pas qu'un film, même "romancé", avait été fait sur le sujet), et je ne connaissais pas ces détails.
    Je viens de lire ce texte passionnant et je te remercie beaucoup JFF ! :salut:
    " J’ignore la nature des armes que l’on utilisera pour la troisième guerre mondiale. Mais pour la quatrième, on se battra à coup de pierres."  A. Einstein       "Pire que le bruit des bottes, le silence des pantoufles."  Max Frisch
      Lien   Revenir ici   Citer